Six romans en quête d’un prix5 oct. 2016
http://www.allemagne.diplo.de/Vertretung/frankreich/fr/__pr/nq/2016-10/2016-10-05-prix-du-livre-pm.html
C’est aussi la saison des prix littéraires en Allemagne. Le 23 octobre, le prestigieux Prix de la Paix des libraires allemands sera décerné à Francfort à la journaliste Caroline Emke. Mais le suspense reste entier pour le Prix du livre allemand. Le meilleur roman de l’année sera élu parmi six finalistes le 17 octobre prochain. Habitués des récompenses ou révélés par un premier roman, leurs auteurs entraînent leurs lecteurs dans des aventures fortes qui explorent les milieux les plus divers.
Au cœur des milieux sociaux
Philipp Winkler est sans doute celui qui s’est aventuré sur les terres les plus novatrices. Son roman Hool (Aufbau Verlag) aborde un univers jusqu’à présent exclu de la littérature : celui deshooligans. Le jeune auteur de 30 ans, qui signe ici son premier roman, fait pénétrer son lecteur dans un milieu fait de précarité sociale, de violence et d’attachement au groupe. Le football passe au second plan. Seule compte la fidélité au groupe, véritable famille de substitution. Les pulsions, la vie et le besoin d’adrénaline y trouvent un cadre pour se décharger, et les marginaux une forme de langage pour s’exprimer.
À mi-chemin de l’étude sociale et du roman d’apprentissage, on trouve aussi Skizze eines Sommers (Rowohlt Berlin), dernier né d’André Kubiczek. L’écrivain de 47 ans y met en scène un adolescent, à Potsdam (sa ville natale) au milieu des années 1980. S’agit-il d’un double, regardé avec les yeux de la maturité ? Une chose est sûre : André Kubiczek raconte avec humour et profondeur la transformation de cet adolescent tourmenté par le passage à l’âge adulte, déchiré entre l’aspiration à se singulariser et l’ennui qui l’habite. Simultanément, il dresse un portrait subtil de la RDA finissante, à travers ses catégories aisées comme à travers la vie des gens simples.
Aventures humaines et langage
À 68 ans, Bodo Kirchhoff a pris une tout autre direction. Les personnages deWiderfahrnis (Frankfurter Verlagsanstalt), sa dernière nouvelle, rompent les amarres pour tenter de vivre l’aventure de l’amour. Et ce, à un âge où l’on n’y croit plus toujours.Widerfahrnis est l’histoire d’un ancien éditeur et d’une ancienne vendeuse de chapeaux retirés du monde qui se rencontrent et décident de partir en Sicile. Mais ce voyage vers un futur possible est aussi un voyage dans le passé. Dans une langue virtuose, patiente et d’une grande intensité humaine, Kirchhoff aborde tous les grands thèmes de l’existence - l’amour, le bonheur, la perte, la mort.
Virtuose. C’est également le terme que l’on peut appliquer au dernier roman de Reinhard Kaiser-Mühldecker, Fremde Seele, dunkler Wald (S. Fischer Verlag). Le jeune auteur autrichien a situé son récit dans une exploitation agricole menacée par la ruine. Un père qui lutte pour éviter l’effondrement. Deux fils qui prennent des voies différentes pour échapper à leur passé, mais qui restent enfermés dans leur univers, leur origine, leur langue. Et finalement, l’absence de perspective, la détresse, le mutisme. Les personnages de Reinhard Kaiser-Mühldecker sont des êtres sans voix, incapables de se comprendre eux-mêmes, et a fortiori de comprendre les autres.
Chez Eva Schmidt, en revanche, la communication redevient possible. Après 19 ans de pause, la femme de lettres autrichienne revient avec Ein langes Jahr (Jung und Jung), un roman en 38 épisodes qui explore avec mélancolie le microcosme d’une petite ville au bord d’un lac. Les habitants, assis à leur fenêtre ou sur leur balcon, s’épient les uns les autres. Jusqu’à ce qu’ils remarquent qu’ils sont eux-mêmes épiés. Peu à peu, cette mosaïque de destins individuels, cloisonnés, s’anime et s’entremêle. Des amitiés naissent, des couples se forment, bien que toujours menacés par la précarité des relations humaines. Un panorama tranquille de la vie quotidienne, peu spectaculaire mais plein de vérité et de profondeur.
Quant à Thomas Melle, son dernier ouvrage, Die Welt im Rücken (Rowohlt Berlin) est inclassable. L’écrivain de 41 ans y raconte sa maladie maniaco-dépressive. Il s’y dénude, décrit avec une précision incroyable le feu d’artifice qui s’allume dans son cerveau et les tortures de la dépression. C’est un livre difficile, qui fait mal. Un voyage au bout de soi, aux confins de la psyché humaine. Mais c’est un livre édifiant et écrit dans un style admirable.
A.L.
http://www.allemagne.diplo.de/Vertretung/frankreich/fr/__pr/nq/2016-10/2016-10-05-prix-du-livre-pm.html
C’est aussi la saison des prix littéraires en Allemagne. Le 23 octobre, le prestigieux Prix de la Paix des libraires allemands sera décerné à Francfort à la journaliste Caroline Emke. Mais le suspense reste entier pour le Prix du livre allemand. Le meilleur roman de l’année sera élu parmi six finalistes le 17 octobre prochain. Habitués des récompenses ou révélés par un premier roman, leurs auteurs entraînent leurs lecteurs dans des aventures fortes qui explorent les milieux les plus divers.
Au cœur des milieux sociaux
Philipp Winkler est sans doute celui qui s’est aventuré sur les terres les plus novatrices. Son roman Hool (Aufbau Verlag) aborde un univers jusqu’à présent exclu de la littérature : celui deshooligans. Le jeune auteur de 30 ans, qui signe ici son premier roman, fait pénétrer son lecteur dans un milieu fait de précarité sociale, de violence et d’attachement au groupe. Le football passe au second plan. Seule compte la fidélité au groupe, véritable famille de substitution. Les pulsions, la vie et le besoin d’adrénaline y trouvent un cadre pour se décharger, et les marginaux une forme de langage pour s’exprimer.
À mi-chemin de l’étude sociale et du roman d’apprentissage, on trouve aussi Skizze eines Sommers (Rowohlt Berlin), dernier né d’André Kubiczek. L’écrivain de 47 ans y met en scène un adolescent, à Potsdam (sa ville natale) au milieu des années 1980. S’agit-il d’un double, regardé avec les yeux de la maturité ? Une chose est sûre : André Kubiczek raconte avec humour et profondeur la transformation de cet adolescent tourmenté par le passage à l’âge adulte, déchiré entre l’aspiration à se singulariser et l’ennui qui l’habite. Simultanément, il dresse un portrait subtil de la RDA finissante, à travers ses catégories aisées comme à travers la vie des gens simples.
Aventures humaines et langage
À 68 ans, Bodo Kirchhoff a pris une tout autre direction. Les personnages deWiderfahrnis (Frankfurter Verlagsanstalt), sa dernière nouvelle, rompent les amarres pour tenter de vivre l’aventure de l’amour. Et ce, à un âge où l’on n’y croit plus toujours.Widerfahrnis est l’histoire d’un ancien éditeur et d’une ancienne vendeuse de chapeaux retirés du monde qui se rencontrent et décident de partir en Sicile. Mais ce voyage vers un futur possible est aussi un voyage dans le passé. Dans une langue virtuose, patiente et d’une grande intensité humaine, Kirchhoff aborde tous les grands thèmes de l’existence - l’amour, le bonheur, la perte, la mort.
Virtuose. C’est également le terme que l’on peut appliquer au dernier roman de Reinhard Kaiser-Mühldecker, Fremde Seele, dunkler Wald (S. Fischer Verlag). Le jeune auteur autrichien a situé son récit dans une exploitation agricole menacée par la ruine. Un père qui lutte pour éviter l’effondrement. Deux fils qui prennent des voies différentes pour échapper à leur passé, mais qui restent enfermés dans leur univers, leur origine, leur langue. Et finalement, l’absence de perspective, la détresse, le mutisme. Les personnages de Reinhard Kaiser-Mühldecker sont des êtres sans voix, incapables de se comprendre eux-mêmes, et a fortiori de comprendre les autres.
Chez Eva Schmidt, en revanche, la communication redevient possible. Après 19 ans de pause, la femme de lettres autrichienne revient avec Ein langes Jahr (Jung und Jung), un roman en 38 épisodes qui explore avec mélancolie le microcosme d’une petite ville au bord d’un lac. Les habitants, assis à leur fenêtre ou sur leur balcon, s’épient les uns les autres. Jusqu’à ce qu’ils remarquent qu’ils sont eux-mêmes épiés. Peu à peu, cette mosaïque de destins individuels, cloisonnés, s’anime et s’entremêle. Des amitiés naissent, des couples se forment, bien que toujours menacés par la précarité des relations humaines. Un panorama tranquille de la vie quotidienne, peu spectaculaire mais plein de vérité et de profondeur.
Quant à Thomas Melle, son dernier ouvrage, Die Welt im Rücken (Rowohlt Berlin) est inclassable. L’écrivain de 41 ans y raconte sa maladie maniaco-dépressive. Il s’y dénude, décrit avec une précision incroyable le feu d’artifice qui s’allume dans son cerveau et les tortures de la dépression. C’est un livre difficile, qui fait mal. Un voyage au bout de soi, aux confins de la psyché humaine. Mais c’est un livre édifiant et écrit dans un style admirable.
A.L.